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APRNEWS : Sahel - Niger, le prix du putsch

APRNEWS - Sahel - Niger, le prix du putsch - Francis Laloupo
Jeudi, 19 octobre 2023

APRNEWS : Sahel - Niger, le prix du putsch

APRNEWS - Face aux mesures de pressions et de sanctions des principaux partenaires régionaux et internationaux en réaction au coup d’Etat du 26 juillet 2023, de quels ressorts et moyensdispose le pouvoir militaire nigérien pour faire face à l’épreuve d’une crise inédite de l’économie nationale ?

APRNEWS - Le 10 octobre dernier, après plusieurs semaines de tergiversations et tirant les conséquences des« tentatives infructueuses de préserver l’ordre constitutionnel au Niger », les responsables américains se sont résolus à qualifier de « coup d’Etat » la prise du pouvoir par les armes, le 26 juillet 2023, par le général Abdourahamane Tchiani et ses hommes. Conformément aux principes régissant la politique de coopération desEtats-Unis avec leurs partenaires africains, cette reconnaissance entraîne notamment la suppression d’une aide au développement d’un montant de 442 millions de dollars pour l’année 2023. Si la présence d’un millier de soldats américains n’est pas remise en cause pour le moment, ces derniers, tout en continuant à assurer une fonction de veille de la menace djihadiste, ne sont plus affectés aux tâches d’assistance et de formation des forces nigériennes. 

Même si l’aide humanitaire n’est pas concernée par la décision américaine, cette mesure vient s’ajouter aux sanctions décidées par d’autres partenaires du Niger, tels que l’Union européenne, la France, l’Allemagne ou le Luxembourg, privant le Niger de quelques 375 millions de dollars.  Au total, selon la Banque mondiale, du fait des réactions américaine et européenne, « près de 1,2 milliard de dollars ne seront pas versés au Niger en 2023, soit plus de 6 % du PIB du pays. »A cela, il faut ajouter les impacts des sanctions de la Cédéao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest) sur la vie économique nigérienne, ainsi que la suspension de l’appui budgétaire de la Banque mondiale et du Fonds Monétaire International (FMI), représentant plusieurs centaines de millions de dollars. Effet escompté par l’ensemble de ces partenaires du Niger : le retour à l’ordre constitutionnel et la libération du président Mohamed Bazoum, ainsi que son rétablissement dans ses fonctions.

La réalité d’une inéluctable crise socio-économique

Trois mois après le coup d’Etat, l’on peut déjà en évaluer les conséquences économiques dans un pays dont le budget est fortement dépendant de l’aide internationale. Face à cette réalité, la junte persiste et signe, déterminé à conserver le pouvoir, en imposant au président destitué une forme abjecte de détention. Si les discours tonitruants et autres incantations « souverainistes » ne peuvent masquer la crainted’une inéluctable crise socio-économique, les dirigeants autoproclamés pourraient-ils, à présent, proposer à leurs concitoyens des voies alternatives permettant de sauvegarder les fragiles équilibres économiques du pays ? Alors que tous les projets d’infrastructures – électricité, accès à l’eau, résilience climatique - sont désormais à l’arrêt ou annulés, et que les projections naguère optimistes de taux de croissance se trouvent sévèrement contrariées, les experts s’inquiètent d’une amplification de l’insécurité alimentaire, indiquant notamment que 700 000 personnes de plus pourraient être concernées par les affres de l’extrême pauvreté au cours de cette année. Tout aussi préoccupant, les conséquences signalées dans les secteurs sensibles de la santé et de l’éducation. Dans le contexte actuel, « 2 millions d’enfants en moins pourraient ne pas être scolarisés, dont 800 000 filles », selon les projections de la Banque mondiale.

Face à ces alertes, la junte compte, dans un premier temps, « faire avec les moyens du bord », tout en espérant parvenir à infléchir les positions de la Cédéao. Par ailleurs, un rapprochement avec la Russie, pourrait, selon les stratèges du pouvoir militaire, participer « politiquement » du rapport de force engagé avec les partenaires traditionnels aujourd’hui désignés comme des ennemis de la « souveraineté nationale ». Mais, bien que le Niger soit légitime à se tourner vers les partenaires de son choix, rien ne saurait raisonnablement garantir que le repli dans la donne du Kremlin constituerait une réponsesuffisante ou pertinente aux exigences de l’économie nationale et aux multiples urgences auxquelles le pays s’attelait jusqu’au coup d’Etat du 26 juillet 2023. Dans le même ordre d’idées, la coalition récemment formée par les trois juntes nigérienne, malienne et burkinabè, dénommée Alliance des Etats du Sahel (AES), ne saurait résister à l’épreuve des réalités économiques. Si l’argument de la « souveraineté » est devenu pour les néo-putschistes sahéliens l’arme fatale pour opérer une captation du pouvoir d’Etat, le risque pour les populations est de voir ces dirigeants s’enfermer dans ce précepte, comme outil exclusifd’exercice du pouvoir d’Etat. Dans un monde idéal, tout pays devrait pouvoir rompre avec la dépendance à l’égard des aides extérieures. Toutefois, dans le cas du Niger, à l’instar d’autres pays du continent, cet idéal d’affranchissement exige, de la part de responsables politiques, une approche pragmatique de la gestion de l’Etat, avec une subtile conjugaison de l’idéal et du possible…

Le scénario de « la diagonale du putsch »

Si les inquiétudes sont vives sur le plan économique, il en est de même sur le plan sécuritaire. Au Niger, tout comme au Mali et au Burkina Faso, la promesse des putschistes de combler les lacunes supposées des pouvoirs civils dans la lutte contre le terrorisme n’est déjà qu’une vue de l’esprit. Dans ces trois pays, contrairement aux discours officiels et outrageusement mensongers, la situation sécuritaire n’avait jamaisautant qu’actuellement frôlé les frontières de la tragédie extrême. Sur ce point, la tentation russe des putschistes du Niger laisse à tout le moins songeur, quand l’on sait que le recours exclusif à la coopération avec la Russie opéré par le Mali et plus discrètement par le Burkina Faso, n’ont jusqu’ici jamais produit le moindre indice d’amélioration de la situation sécuritaire dans ces pays. 

La junte nigérienne a décidé d’adopter pleinement le logiciel qui a servi de socle et de moteur à sescorrespondants de l’Alliance des Etats du Sahel. Un scénario qui, une fois le coup d’Etat consommé, se décline selon un immuable schéma chronologique : suspension des institutions, émissions des slogans souverainistes, mise en place de bataillons de producteurs et diffuseursd’informations orientées avec, en toile de fond, le protocole wagnérien de la guerre informationnelle, organisations de manifestations anti France et anti Occident, rupture des accords de coopération sécuritaire avec l’ancienne puissance coloniale, stigmatisation et expulsiondes missions et représentants résidents de l’Onuabusivement assimilés aux « forces de l’impérialisme »… Cette frénétique méthodologie de la rupture se conclut par l’officialisation enthousiaste d’un « rapprochement » avec la Russie, dont « l’assistance » est pour l’essentiel incarnée par la présence et les œuvres des éléments du groupe paramilitaire Wagner. La junte nigérienne fortement inspirée par ses principaux soutiens du Mali et du Burkina, a confirmé, au fil des jours, son adhésion à ce scénario devenu une marque distinctive de cette diagonale du putsch dans le Sahel.

En assumant une rupture non programmée avec l’environnement régional et international du Niger, l’équipe du général Abdourahamane Tchiani pourrait devenir, bien plus tôt que les alliés du Mali et du Burkina Faso, l’artisan de sa propre impasse. Quel sera, pour les Nigériens, le coût du coup d’Etat du 26 juillet 2023 ? Lepouvoir militaire de Niamey devrait, sans délai,faire la démonstration de sa capacité à inventer des éléments de compensation et d’amortissement des chocs liés à une crise socio-économique annoncée, résultant d’un putsch absurde, et dont les conséquences pourraient être dévastatricespour le Niger. Mission possible ?

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.