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APRNEWS - Interview : Le ministre Alcide Djédjé, « Dogbo Blé et Konan Boniface voulaient la cessation des hostilités... »

Alcide Djédjé - Interview - Politique
Mardi, 18 avril 2023

APRNEWS - Interview : Le ministre Alcide Djédjé, « Dogbo Blé et Konan Boniface voulaient la cessation des hostilités... »

APRNEWS - Chaque période finit par s’affirmer, par former un motif cohérent qu’on peut embrasser d’un seul regard. Mais pour que cette clarté rétrospective illumine les événements humains, il faut qu’on s’en soit détaché, autrement dit un décollage temporel est indispensable. Aujourd’hui, 12 ans après la crise ivoirienne de 2011, Alcide Djédjé, ancien ministre des affaires étrangères de Laurent Gbagbo livre, dans les colonnes d’un confères, sa part de vérité. Ce témoin et acteur majeur de l’histoire, parle avec précaution, se méfiant visiblement de tout sentiment subjectif qui peut colorer les faits. L’interview est édifiante, qui nous permet d’accéder à cette dimension d’un temps qui n’est plus là, mais qui demeure vivant dans la mémoire, et qui gagne même en précision et en pouvoir.

 

Côte d'Ivoire / Diplomatie et actions de développement - Alcide Djédjé  doublement primé - Lemondeactuel.com

Douze ans après la crise électorale ivoirienne, le ministre Alcide Djédjé confesse, avec humilité, que dans le feu de l’action, on peut être gagné par cet aveuglement nécessaire qui vous obstrue la vision. Naturellement, conclut-il, cela empêche une évaluation plus rationnelle et saine de choses et de leurs conséquences possibles. « On est surpris de certaines attitudes que soi-même, en tant qu’acteur, on a pu avoir dans le feu de l’action ».

 L’ancien compagnon de Laurent Gbagbo salue l’action concertée de tous, acteurs nationaux comme internationaux qui ont conjugué les efforts et créé une parfaite osmose pour le dénouement heureux de la crise ivoirienne de 2011.

Bien au-delà, l’ex ministre délégué aux affaires étrangères s’incline devant le leadership d’Alassane Ouattara qui a rendu possible la pacification du pays, alors que cela n’était  nullement évident : « Il ne suffisait pas que la guerre cesse. Après la guerre, il fallait aussi ramener la paix et la réconciliation, pour passer ensuite à cette phase de développement prodigieux qu’on connait aujourd’hui ».

Faisant un point d’histoire, Alcide Djédjé a rappelé, sa médiation à l’Ambassade de France pour le compte de la Côte d’ivoire. Son action avait vocation à faire cesser les hostilités. Autrement dit, devant l’intensification des bombardements, l’homme endossa ses attributs de ministre des Affaires étrangères et entama, avec l’accord de Laurent Gbagbo, des négociations avec la France, via son ambassade à Abidjan. Malheureusement, sans en comprendre les principes et les visées, certains caciques du Front populaire Ivoirien d’antan, avec à leur tête, la première dame de l’époque, ont voué aux gémonies les bons offices du ministre, le priant même de quitter la résidence présidentielle. De sa démarche, des proches du président Gbagbo, feu Aboudramane Sangaré et Simone Gbagbo marquaient ainsi leur désapprobation. L’âme en peine, Alcide Djédjé quitta la résidence présidentielle : « j’ai vécu ces derniers jours avec beaucoup de frustrations. Frustration de n’avoir pas pu faire basculer les choses dans le sens d’une cessation des hostilités, ce qui était le but de la médiation à l’Ambassade de France ».

Pour l’ambassadeur Djédjé, qui avait déjà fait un décryptage objectif de la situation, mieux valait plier. Il eut, dans une grande meurtrissure, cette phrase intérieure terrible : « quand on est un acteur principal, mais désavoué, on se trouve dans une situation d’impuissance ». Il faut alors courageusement et quelquefois, la mort dans l’âme, épouser un déterminisme auquel on ne peut, de toute façon, pas se soustraire. Comme Sénèque, dans sa lettre à Lucilius, écrivait : « le destin conduit celui qui y consent et tire celui qui y résiste ».  Cet appel à la résignation semble relever du simple bon sens. Le ministre Djédjé paraissait avoir érigé sa philosophie dans cet esprit quelque peu militant fondé sur l'idée que la sagesse consiste à donner son « assentiment » au sort qui est réservé à chacun.

Sa posture était même d’autant plus réaliste que, tel qu’il l’évoque, le Général Dogbo Blé, dont les combattants acceptaient d’être cantonnés, appelait à la cessation des hostilités ; tout comme le Colonel major Konan Boniface, chef du théâtre des opérations militaires, disait avoir lu dans les yeux de ses combattants, qui pourtant avaient la mine haute et fière, de la fureur et, à la fois, du désespoir.

Dans le voisinage immédiat du président Gbagbo, l’idée jusqu’auboutiste d’une résistance sans fin a cheminé. Certains militants du parti voyaient en Laurent Gbagbo un héros qui devait affronter sans fléchir les balles de la rébellion.  Ces derniers opposaient à l’ex-conseiller diplomatique du chef de l’Etat, une certaine morale de l’acceptation héroïque de la mort. Comme si aller volontairement à la rencontre de la mort, était un acte d’héroïsme.

Alcide paraissait, lui, préférer les accords d’Addis-Abeba et, à défaut, les propositions de la France qui prévoyaient l’exil, plutôt qu’un départ sans fin : « il y a un compromis qui avait été trouvé à Addis-Abeba et le président Laurent Gbagbo devait se retirer pour qu’il y ait un gouvernement d’union qui se mette en place, afin que la Côte d’Ivoire puisse aller de l’avant ». La France de Sarkozy, elle, proposait que toute la famille, et tous les collaborateurs du Président qui étaient à l'intérieur de la résidence puissent être exfiltrés pour être emmenés dans un pays que le Président Laurent Gbagbo aurait choisi pour l’exil.

Aujourd’hui, par les vertus de la clarté des visions rétrospectives, certains de ceux qui le combattaient hier, sont aujourd’hui reconnaissants de la justesse de son action.

Alcide Djédjé n’omettra pas de dénoncer ces prétendus hommes de Dieu dont le rôle aux côtés du président Gbagbo a été plus que nocif. On le revit encore, tous, nous fûmes transportés du monde sensible vers l’univers des réalités intelligibles, par la force des multiples ‘’révélations’’ tonitruantes d’un certain Koné Malachie et de bien d’autres pasteurs, prédisant un renversement spectaculaire de la situation au profit du pouvoir sortant. Alcide Djédjé s’est refusé à ce délire collectif pour regarder les choses avec raison.

En certains points de son discours, l’ambassadeur Djédjé renvoie les journalistes, sur certains points au président Gbagbo lui-même, notamment sur  les raisons qui ont empêché le discours de sa reddition : « c’est le Président Laurent Gbagbo qui pourra répondre à cette question. Sinon, notre souhait en ce moment, était que ce discours soit lu, pour que les hostilités prennent fin ». Il dit toutefois ne rien savoir, quant aux rumeurs persistantes et témoignages visiblement crédibles qui ont désignée Simone Gbagbo comme celle qui a empêché l’enregistrement de la déclaration du président qui voulait rendre le tablier.

Au total, sans véritablement charger ses compagnons d’hier, Alcide Djédjé revendique lui-même sa part de responsabilité dans la crise de 2010. Il a même ces mots forts à l’endroit des politiques qui sont sujets à commettre des erreurs dans la gestion de situations quelquefois complexes : « ce qui est devenu particulièrement visible aujourd’hui, c’est le fait que la vie politique implique de devoir prendre des décisions sans pouvoir connaître l’ensemble des paramètres qui détermineront l’avenir ». Ce n’est pas une sinécure.

Par Jean Clotaire Tétiali