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APRNEWS : Affaire Crédit Suisse, Tidjane Thiam réagit

Crédit Suisse - Tidjane Thiam
Vendredi, 24 mars 2023

APRNEWS : Affaire Crédit Suisse, Tidjane Thiam réagit

APRNEWS - Dimanche en fin d'après-midi, UBS, poussée par les autorités du pays, a finalement accepté d'acheter sa rivale Crédit Suisse à 3 milliards de francs suisses. Après le choc initial du rachat dérisoire en urgence de Crédit Suisse, une banque qui en valait, semble-t-il beaucoup plus, place aux questions sur l’avenir du nouvel ensemble. Comment se déroulera l’intégration entre les deux géants bancaires? Qui de la division banque de financement et d’investissement (BFI) de Crédit Suisse, à l’origine des maux qui l’ont fait tomber? Quel sort sera réservé aux salariés? Plus largement quel sort pour les banques européennes ? Autant de questions qui transparaissent à travers la réaction de Tidjane Thiam, ex-directeur du Crédit Suisse. Le banquier ivoirien dit être très attristé…

 « Comme tout le monde, j'ai regardé les événements se dérouler à Zurich ces derniers jours avec quelque chose qui ressemblait à de l'incrédulité stupéfaite. Lorsque j'ai quitté mes fonctions de directeur général du Crédit Suisse, la banque venait de publier ses bénéfices les plus élevés depuis10 ans après une restructuration en profondeur. Et bien que j'aie géré efficacement les délicates situations qui se sont développées sous ma direction, les choses ont mal tourné dans les années qui ont suivi. Un peu plus de trois ans plus tard, cette même banque, qui fait partie du tissu national Suisse depuis plus de 160 ans, a été poussée dans les bras de son plus grand rival, UBS, au cours d'un week-end tumultueux. Malheureusement, il y aura un impact humain sur les milliers de personnes, et de nombreux anciens collègues, qui risquent de perdre leur emploi à la suite de ce sauvetage.

UBS en pourparlers pour racheter Credit Suisse, selon le FT

Depuis que j'ai quitté la banque en février 2020, je me suis principalement abstenu de tout commentaire sur le Crédit Suisse, mais la tournure des événements m’oblige désormais à prendre la parole. Une grande partie de mon travail en tant que directeur général - aidé par une équipe dédiée - a consisté à tracer une nouvelle voie vers la gestion de fortune et loin de la banque d'investissement afin de réaliser pleinement le potentiel de la franchise. Mais une tâche tout aussi importante consistait à renforcer le bilan, qui se figurait au bas de la liste des banques d’importance systémique lorsque je l’ai rejointe. Nous avons donc levé 10 milliards de Francs Suisse de capitaux propres, réglé des problèmes hérités de plusieurs milliards de dollars, du marché américain des titres hypothécaires à la Mozambique, réduit l'exposition aux risques de 45% et éliminé plus que 100 milliards de Francs Suisse d’actifs dépréciés.

Le risque a toujours été une priorité pour moi. Il était clair que les systèmes de risques de la banque nécessitaient un investissement majeur et qu’il s’agirait d’une entreprise de grande envergure, pluriannuelle. J'ai souvent décrit cela comme un travail qui prendrait 10 ans, qui n'était manifestement pas terminé au moment de mon départ. Quelques jours après mon entrée en fonction, l'une de mes premières décisions a été d'approuver 150 millions de dollars de nouveaux investissements dans les systèmes de gestion des risques. Nous avons également augmenté le personnel en charge de la conformité de plus de 40%, alors même que nous menions un important programme de réduction des coûts à l’échelle de la banque. J'ai clairement indiqué que tant que les systèmes de gestion de risque et de conformité n’étaient pas considérablement améliorés, le comportement et la culture d’entreprise seraient plus importants que jamais.

Après les pertes initiales très médiatisées enregistrées fin 2015 dans le domaine des créances déclassées, j'ai mis fin à cette activité, réduit notre appétit des risques et je me suis assuré que tout le monde comprenait que j’étais prêt à entendre de mauvaises nouvelles lorsqu’elles se produisaient. Nous avons réussi à passer16 trimestres sans problème grave, nous avions plus de 200 milliards de dollars de flux en gestion de fortune, à réduire les risques et à réduire les coûts d'exploitation et les coûts hérités du passé. En 2019, Crédit Suisse a réalisé presque autant de profit que son nouveau propriétaire UBS. Son sort actuel m'attriste. Mais nous devons nous concentrer sur ce qui se passe maintenant. UBS a déclaré qu'elle conserverait le "Joyau de la couronne" du Crédit Suisse, la banque suisse autonome que j'ai créée qui a toujours été performante malgré les problèmes du groupe. Cependant, les régulateurs devraient se demander s’ils doivent autoriser un acteur national unique de cette taille sur le marché suisse. On peut soutenir que la tentative d’absorption par UBS de la banque universelle suisse du Crédit Suisse ne ferait rien d’autre que d’ajouter des milliers de pertes d’emplois à celles déjà attendues dans la banque d’investissement.

D’un point de vue plus large, les décideurs doivent renforcer la confiance des investisseurs dans le secteur bancaire européen. Le traitement des détenteurs d’obligations Additional Tier1 (AT1) a créé une incertitude importante. Ce qui s'est passé se déroulera dans les tribunaux pendant des années. Il existe un principe de base selon lequel les capitaux propres ordinaires sont les premiers à être touchés. Il semble que le traitement d'un AT1 - même s'il est correct en vertu de l'actuelle réglementation suisse - augmentera le coût du capital pour les banques suisses et pour les banques européennes. Certains de leurs pairs américains se frotteront les mains. Les AT1 ou les «cocos» (contingent convertible bonds) sont une source importante de capitaux pour les banques européennes et en raison de l'appétit du marché, les taux d'intérêt peuvent ne pas avoir pleinement reflété les risques encourus.

Cette nouvelle couche d'incertitude aura un impact négatif sur la compétitivité du secteur bancaire européen. En net, les rivaux américains et asiatiques pourraient sortir de tout cela, relativement plus forts. Une question connexe est que les actionnaires se sont vu refuser un vote sur les modifications apportées à la loi d'urgence, ce qui a choqué de nombreux investisseurs et acteurs du marché. Bien sûr, il s’agissait d’une urgence. L'alternative aurait pu être bien pire. Mais après les milliers d'heures passées à travailler sur des choses comme les plans de résolution depuis 2008, cet épisode montre la nécessité de poursuivre les travaux pour codifier les approches des crises bancaires et être plus transparent avec les investisseurs sur la réponse probable des décideurs. Nous devons tirer les leçons de ces derniers jours - sinon Crédit Suisse sera tombé en vain ».