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APRNEWS - Affaire Crédit Suisse : analyse de la réaction de Tidjane Thiam, ex Dg

Tidjane Thiam, Crédit Suisse - Finance
Samedi, 25 mars 2023

APRNEWS - Affaire Crédit Suisse : analyse de la réaction de Tidjane Thiam, ex Dg

APRNEWS - Après le sauvetage de la deuxième banque suisse, rachetée par UBS, des questions se posent. Actionnaires, management, autorités financières… Tout le monde cherche le responsable ou les raisons profondes de cette nouvelle crise bancaire. C’est dans ce climat de suspicion que, Tidjane Thiam, ex-PDG de Crédit Suisse, une voix experte donc, livre un diagnostic d’une cohérence implacable sur la situation de son ancienne banque.

APRNEWS - Tidjane Thiam est dans un état de profond saisissement, car ce qui se déroule sous ses yeux lui parait irréel. Et ce, d’autant qu’au moment de son départ de Crédit Suisse en 2020, « la banque venait de publier ses bénéfices les plus élevés depuis 10 ans.. », pour saluer la restructuration en profondeur qu’il avait opérée.  Aussi, marque-t-il sa stupéfaction devant la frénésie avec laquelle Crédit Suisse, ce fleuron de la finance suisse depuis plus de 160 ans, est tombé dans l’escarcelle de son concurrent UBS. Déjà une conséquence logique selon l’ex-Dg : « malheureusement, il y aura un impact humain sur les milliers de personnes, et de nombreux anciens collègues, qui risquent de perdre leur emploi à la suite de ce sauvetage ».

Pour Tidjane Thiam, peu importent les difficultés, le succès reste toujours possible. Le banquier révèle aujourd’hui le secret de sa dynamique, et lève le mystère autour de ses choix stratégiques : « Loin de la banque d’investissement, la gestion de fortune » : fournir aux clients une expertise patrimoniale financière, juridique et fiscale, et gérer leurs actifs en fonction de leurs objectifs et de leur degré d’aversion au risque.  

Par les mérites de ce choix, Tidjane Thiam et son équipe réaliseront pleinement le potentiel de la franchise. Un modèle de gestion performant combinant la marque, le savoir-faire et l’assistance technique et commerciale et qui est basée sur la duplication d’un modèle économique dont le succès est avéré. La tâche était ardue : « Mais une tâche tout aussi importante consistait à renforcer le bilan, qui se situait au bas de la liste des banques d’importance systémique lorsque je l’ai rejointe ». En clair, l’homme a hérité d’une société au creux de la vague. Il a également dû affronter, sans peur, des situations tout aussi délicates : les craintes à propos des titres structurés adossés à des prêts hypothécaires à risque, et du manque de rigueur des accords et des conditions de prêt appuyant les activités de rachat par l’emprunt.  Au fond, Thiam a toujours mis le risque en priorité. Mais dans le strict respect de la règlementation prudentielle du secteur bancaire et avec des mécanismes d’organisation et de gouvernance adéquate.

In fine, au point de confluence entre les choix stratégiques et leur déploiement à travers les diverses activités de la banque d’une part, et les méthodes de gestion d’autre part, la Société, selon son chef, a réussi à dégager des profits, à rentabiliser l’investissement :  « Nous avons donc levé 10 milliards de Francs Suisse de capitaux propres, réglé des problèmes hérités de plusieurs milliards de dollars, du marché américain des titres hypothécaires à la Mozambique, réduit l'exposition aux risques de 45% et éliminé plus que 100 milliards de Francs Suisse d’actifs dépréciés ». Nous avons également augmenté le personnel en charge de la conformité de plus de 40%, alors même que nous menions un important programme de réduction des coûts à l’échelle de la banque ».

Parti précipitamment de la banque, Tidjane Thiam n’a pu consolider ces acquis,  les systèmes de gestion de risque et de conformité n’étant pas considérablement améliorés. Et pourtant, déplore Thiam « Il était clair que les systèmes de risques de la banque nécessitaient un investissement majeur et qu’il s’agirait d’une entreprise de grande envergure, pluriannuelle. J'ai souvent décrit cela comme un travail qui prendrait 10 ans, qui n'était manifestement pas terminé au moment de mon départ ». Cependant, pour le temps qu’il est resté à la tête de Crédit Suisse, à force de persévérance et de stratégies, Tidjane Thiam et son équipe ont réussi « à produire plus de 200 milliards de dollars de flux en gestion de fortune, à réduire les risques et à réduire les coûts d'exploitation et les coûts hérités du passé ». Au bout de la dynamique Thiam est née donc une banque suisse autonome et performante malgré les problèmes du groupe. Mais un établissement aujourd’hui en chute libre, trois ans seulement après le départ de Tidjane Thiam. Alors des questions surgissent.

Evidemment, les spéculations, des plus rationnelles aux plus délirantes et peu honnêtes autour de ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Crédit Suisse, vont bon train.  Pour les détracteurs de Thiam, sa responsabilité est grande, il aurait dû faire ci, il aurait dû faire ça.

Plus sérieusement, il faut éviter le jeu de la clarté des visions rétrospectives, et poser les vraies questions :

« Le rachat de Crédit Suisse était-il la seule "solution réalisable" dans un court laps de temps ». Et Thiam de s’inquiéter encore : « Les régulateurs devraient se demander s’ils doivent autoriser un acteur national unique de cette taille sur le marché suisse ».

Si l’on ne s’abuse, on peut croire que disposer de plusieurs banques permet aux entreprises de ne pas supporter la rente informationnelle d’un créancier unique, puisqu’une banque est supposée disposer d’informations privilégiées par rapport aux autres créanciers et que les entreprises de bonne qualité ont donc intérêt à nouer des relations privilégiées avec plusieurs banques. La profitabilité des entreprises influence positivement le choix d’une relation multibancaire plutôt qu’une relation exclusive.

Tidjane Thiam soulève une autre question qui semble constituer, pour lui, une cause de profonde souffrance morale : « d’un point de vue plus large, les décideurs doivent renforcer la confiance des investisseurs dans le secteur bancaire européen… »

 L’ex-Dg de la banque helvétique fustige le traitement réservés aux des détenteurs d’obligations Additional Tier1 (AT1) et le climat d’incertitude qui en découle.

En effet, les obligations Additional Tier1 (AT1) ou CoCo bonds sont des outils financiers à manipuler avec précaution. Ces instruments de dette sont très risqués et, en vérité, n’ont pas de date de remboursement. Aussi, leur coupon annuel est très élevé.  Ceux qui en sont détenteurs sont privilégiés en cas de crise, au détriment des actionnaires. Mais, dans leur décision de sauver Crédit Suisse les régulateurs n’ont pas respecté un certain ordre hiérarchique. Ils ont privilégié les actionnaires de Crédit Suisse. Ceux-ci vont recevoir 3 milliards de francs, ou 76 centimes par action, alors que les détenteurs de se retrouvent sans rien.  "Les régulateurs suisses ont enfreint les règles du jeu". C’est pourquoi, Thiam parle d’une incertitude réglementaire qui plane actuellement sur le secteur bancaire et des possibles conséquences pour les banques européennes, friandes de CoCo bonds : « Ce qui s'est passé se déroulera dans les tribunaux pendant des années ». Toutes choses qui favoriseraient les rivaux américains et asiatiques qui pourraient sortir de tout cela, relativement plus forts », a-t-il conclu. 

Tidjane Thiam invite les régulateurs à revisiter pas leurs approches, par l’implication des actionnaires dans le vote sur les modifications apportées aux lois d’urgence. La compétitivité des banques européennes est à ce prix. Il appelle surtout à « plus transparent avec les investisseurs sur la réponse probable des décideurs ». Ce sont là les leçons à tirer.  Sinon, prévient-il, « Crédit Suisse sera tombé en vain ».

Jean Clotaire Tétiali